Un homme, un vrai - Christophe Beaucarne

"Il érotise tout, et pas que les femmes" Mathieu Amalric

Morceaux choisis de la discussion du 1er février avec Christophe Beaucarne, Arnaud et Jean-Marie Larrieu et Mathieu Amalric, à l'occasion de la projection du film Un homme, un vrai des frères Larrieu.

 

Mathieu Amalric : on s'est connu sur un court métrage de Xavier Giannoli qui s'appelait L'Interview. C'est quelque chose qui dépasse la notion de technicien, ou de quoi que ce soit, c'est juste que vous avez envie de passer du temps avec ce type. Déjà il y a ça. Après il érotise tout et pas que les femmes, donc c'est pas mal, et puis en plus il aime bien faire joujou avec des objets marrants, et il aime bien être pédagogue, montrer comment ça marche, et montrer que c'est lui le plus fort. Cette relation aux acteurs est charnelle, ça dépasse le cadre ou la lumière. Parce que nous les réalisateurs, on croit qu'on sait certaines choses mais les techniciens sont obligés de traduire en termes techniques. 

Bon avec les Larrieu c'est différent parce qu'Arnaud cadre. 

En tout cas il y a [chez Christophe Beaucarne] une forme de curiosité permanente, n'avoir aucun principe, ce qui est très agréable. Tout est possible, on est jamais dans une relation théorique ou complexée, Christophe a une manière extrêmement généreuse de transformer nos méconnaissances en sensibilité. Il aime beaucoup partager le côté artisanal, parce qu'en fait il est en train d'essayer, il prend des risques. Et puis c'est des choses économiques aussi, par exemple sur Tournée, l'étalonnage numérique coutait 50 000 euros de plus, on avait pas les droits musicaux, alors on s'est mis d'accord. 

 

Christophe Beaucarne : Par exemple comme on savait qu'on avait pas trop de sous pour louer les lumières, on a essayé dans la rue les pellicules avec lesquelles on voyait le mieux, c'est pour ça que je vous dit que la 500 Kodak est plus sensible, et du coup on a pu tourner vraiment dans le noir total. La 500 à 1,3 c'est ce qu'on voit dans le noir. Faut avoir confiance, c'est ça.

 

 Jean-Marie Larrieu : Christophe c'est aussi l'art de vouloir y aller.

 

Arnaud Larrieu : Sublimer!

 

Jean-Marie Larrieu : Sublimer, voila il a un mot : "on va sublimer". Il faut s'en méfier de ce mot mais à petite dose, c'est bien. Et il n'y a que la lumière qui fait ça. Nous on ne travaille pas dans les décors, alors le décor c'est la lumière.

 

Christophe Beaucarne : Oui en revoyant le film je trouvais que l'appartement c'était super, je ne m'en rappelais pas.

 

 

 

Jean-Marie Larrieu : Dans cette première rencontre avec un chef opérateur, là où on s'est bien rencontré c'est que nous on estime qu'une mise en scène se cherche au moment du tournage, c'est à dire que la mise en scène peut perdre du temps pour trouver, et ça Christophe nous l'accordait. On tournait un peu dans l'ordre, on ne tournait pas tout dans un axe puis tout dans l'autre car ça aurait voulu qu'on savait ce qu'on allait faire à l'avance, or on ne le savait pas. Par la rapidité, par la liberté, par l'assurance qu'il nous donnait, on faisait ce qu'on voulait, il n'y avait pas de pression avec la lumière. Pour nous c'est essentiel. On cherche sur le moment avec les acteurs, alors un chef opérateur qui nous dirait "non"… enfin on sait qu'il faut le faire à certain moments. Mais je crois que ça t'amusait aussi.

 

Christophe Beaucarne : Oui, parfois on dormait le matin, étendu dans l'herbe en réfléchissant, bon après il fallait accélérer. La séance d'Ibiza, où Suner (Jean-Claude) revient, on a fini avec le soleil qui déclinait, déclinait. C'etait ric-rac. Mais c'est les aléas de ce type de cinéma.

 

Jean-Marie Larrieu :  A l'époque de nos premiers courts métrages c'était absolument inconcevable. Quand un chef opérateur nous avait dit, le lever on le tournera au coucher, on fera trois points d'étalonnage et on y verra que du feu, on avait été absolument horrifiés. Or, là c'est un coucher de soleil et dans le film c'est un lever.

Et à ce plan là on s'est dit "ça y est", c'est pour ce plan qu'on fait des films. Il avait fait mauvais pendant dix jours, et tout d'un coup on a un coucher de soleil, le plan on l'a fait en 30 minutes, tout d'un coup il s'est passé quelque chose avec la lumière.

 

Christophe Beaucarne : Ce que je pense, dans ce genre de cas, quand on se raconte un peu l'histoire, c'est qu'il faut toujours être prêt a prendre le contre pied de ce qu'on peut imaginer être juste.

Si on se dit qu'on tourne à l'aube... dans ce cas-ci le coucher était mieux orienté que l'aube, bon on avait pas envie de se lever, mais il y a ça aussi. Avec Matthieu, quand on a fait Tournée on avait un couloir avec des lumières, c'était un hôtel affreux, j'ai essayé d'éclairer ce couloir, c'était absolument abominable. Et tout a coup on a vu que les lampes étaient sur minuterie et qu'elles s'éteignaient au fur et à mesure, alors on s'est dit on va le faire comme ça. On a presque pas éclairé l'avant plan, et pendant qu'ils se parlaient les lumières commençaient à s'éteindre ce qui dramatisait et correspondait assez bien à la scène. Je pense que c'est ça qu'il faut faire. Chaque fois que l'on tombe dans un décor, on se lit l'histoire et puis même si on avait prévu quelque chose, c'est pas forcément la meilleure solution. Bon attention il faut essayer de préparer au maximum (rires).

 

Arnaud Larrieu : Moi je cadre nos films. Christophe Beaucarne est un vrai bon cadreur. Moi, si j'allais faire le cadre d'un autre mec, ça serait catastrophique. C'est un cadre de mise en scène, à part ça je suis un très mauvais cadreur. 

 

Christophe Beaucarne : Je conçoit bien de faire toujours le cadre, je pourrais pas prendre un cadreur qui n'est pas un réalisateur. Arnaud a des envolées que moi je ne ferais pas, c'est une forme d'écriture, donc c'est chouette. Maintenant sur les autres films je ne prend jamais de cadreur car je trouve que c'est une partie intégrante de l'image. Bon ensuite il a des très bons cadreurs qui connaissent la lumière mais moi j'ai envie de m'occuper de ça. Et puis quand je fais que la lumière, ça m'est arrivé très peu, je rêvasse, je met 40 000 drapeaux, je ne vais pas à l'essentiel, je regarde tout ce qui se passe avec les photons, je deviens dingue. 

Quand je cadre ça me recentre, je reste dans l'action, dans l'histoire, dans le film.

 

Christophe Beaucarne : Les essais c'est propre à chaque film, en fonction de mes discussions j'essaie d'orienter les essais. Demain par exemple je fais des essais. Et ce qui nous préoccupe c'est les panoramiques. La stroboscopie dans le panoramique. Je vais essayer toute sorte de vitesses de panoramique pour voir à quel moment ça strobe. C'est propre à ce film-là car on va faire énormément de mouvements. C'est vraiment spécifique au film. J'ai une autre politique ensuite, c'est que je ne veux jamais les faire en studio, je préfère les faire en décors naturels, chez moi ou dans un jardin si j'ai de la verdure dans le film. Mais jamais en studio parce que je ne trouve pas ça parlant, sauf l'essai de Keylight de base. Mais on va jamais filmer quelqu'un devant un fond gris pendant le tournage alors je vois pas pourquoi je ferais ça. C'est important de faire des choses qu'on s'apprête a faire.

 

En publicité j'essaye tout ce que je peux. J'ai jamais tourné de film en Alexa mais j'ai tourné des pubs avec. J'essaye tout : les grues, les systèmes de lumière. Ces dernières années, c'était tout ce qui est girostabilisé, que j'amène parfois sur un film pour un plan spécifique.

 

 

 

 

 

Prochaine séance

 

Mardi 6 octobre

2020

à 20H

 

JEUNE FEMME

 

 réalisé par

Léonor Serraille

 

En présence de la réalisatrice

Léonor Serraille

et de la cheffe-opératrice

Émilie Noblet

 

Celle d'après